Avril2020
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COVID-19 - Le règlement des loyers et la crise sanitaire (Partie 2)

LE LOCATAIRE PEUT-IL INTERROMPRE OU SUSPENDRE LE RÈGLEMENT DES LOYERS EN PÉRIODE DE CRISE SANITAIRE ?

 

Ainsi que cela a été vu, dans notre premier article relatif à l’ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020 :

– d’une part ses effets sont restreints, en ce qu’il n’est plus question d’une suspension des loyers, mais d’une protection contre des mesures de « coercition » ;

 – et d’autre part, ses bénéficiaires sont limités aux micro-entreprises.

Quid donc des preneurs à bail commercial plus importants, et des locataires à bail d’habitation, qui se trouveraient en difficulté pour régler leur loyer en cette période de confinement et d’arrêt d’activité économique.

 

Des outils juridiques existent :

1 – la théorie de l’exception d’inexécution :

Au titre de laquelle, une partie peut suspendre l’exécution de son obligation en raison de la non-exécution de son obligation par l’autre partie – article 1219 du Code civil.

La problématique en la matière consiste dans la difficulté à invoquer un manquement du bailleur à ses obligations pouvant justifier la suspension du règlement de ses loyers par le preneur.

En l’occurrence, la question d’un manquement du bailleur à son obligation de délivrance, ou à celle de garantir au locataire la jouissance paisible du local, pourrait être posée, et en réalité rapidement écartée.

Si le preneur commercial ne peut plus accueillir de public, il a encore la jouissance des lieux loués (son matériel demeure stocké, il garde les clés et il peut s’y rendre pour travailler, en respectant les limitations de déplacement).

Et si des mesures gouvernementales ont pu empêcher parfois tout accès à certains établissements, elles empêchent dans ce cas le bailleur de respecter son obligation, qui pourra donc s’en dédouaner.

 

2 – la théorie de l’imprévision :

Prévue à l’article 1195 du Code civil, désigne la situation dans laquelle « un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations pendant la renégociation».

 Les conditions pourraient être réunies dans la crise actuelle.

Mais il faut noter que, sur ce fondement, il est uniquement possible de demander une renégociation du contrat (cela peut inclure la question d’un échelonnement d’un des loyers impayés ou son report par exemple) et cette notion ne nous permet pas de demander la suspension d’une des obligations du contrat.

Et attention le preneur ne peut invoquer cet article que pour les baux conclus ou renouvelés depuis le 1er octobre 2016.

 

3 – la théorie de la force majeure :

Prévue à l’article 1218 du Code civil, ce dernier dispose qu’il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement irrésistible, imprévisible et extérieur aux parties, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.

 En résumé, le locataire doit démontrer que l’exécution de son obligation de régler les loyers, a été rendue impossible en raison des événements actuels (épidémie et confinement), imprévisibles et extérieurs.

Dans la situation actuelle, on pourrait estimer que ces critères sont réunis, bien que certains puissent porter à discussion.

Le ministre de l’économie et des finances, a d’ailleurs annoncé vendredi 28 février 2020 que le coronavirus COVID-19 sera considéré comme un cas de force majeure pour les entreprises, en particulier au regard des marchés publics de l’État.

Mais si l’épidémie devait être caractérisée par les juges comme un cas de force majeure (mais nul ne peut le dire aujourd’hui, et encore moins dans quelle mesure et dans quelle limite), elle permettrait au locataire, d’obtenir uniquement une suspension ou un report, et non une dispense définitive des loyers, durant la période d’état d’urgence sanitaire (Civ., 15 févr. 1888, DP 1888. 1. 203. – V. égal. Req. 23 févr. 1872, DP 1872. 1. 186) et cette solution a été rappelée de temps à autre Civ. 3e, 22 févr. 2006, no 05-12.032 , Bull. civ. III, no 46 ; D. 2006. 2973, note Beaugendre).

 

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En conclusions, et à ce stade, les loyers restent dus, mais le locataire pourrait disposer d’outils à sa disposition afin de demander des délais, une suspension ou un rééchelonnement de ses loyers.

 En cas de litige, il faudra encore prendre en compte l’impossibilité matérielle des juridictions, fermées pendant la période de confinement et déjà surchargées antérieurement, de proposer une date d’audience, et bien entendu de rendre une décision, rapidement.

Dans ces conditions, il est préférable d’ores et déjà pour les locataires et bailleurs, de se rapprocher les uns des autres, pour trouver amiablement des modalités de règlement des loyers (suspension, report, paiement échelonné).

  

Maître Baptiste BOUILLON – BERGER AVOCATS & ASSOCIES